A la fin décembre, les équilibres de 2020, bien que tendus, ne s’annonçaient pas trop difficiles à obtenir. D’autant qu’une loi des finances complémentaires annoncée pouvait limiter le déficit global du trésor prévu à plus de 10% du PIB. L’engagement de ne pas recourir au financement monétaire ou à l’endettement extérieur, devait mener aussi en toute logique à une rationalisation des  choix, dans un contexte où la poursuite du Hirak incitait normalement à mener les  réformes politiques et économiques nécessaires pour remettre le pays sur les rails. Mais, le premier trimestre presque passé, une pandémie dangereuse s’installe dans presque tous les pays de la planète. Elle est suivie de près par une chute record des prix pétroliers.

Le report de l’examen de la LFC lors du conseil des ministres du 22 mars 2020, et l’annonce de la poursuite des travaux, pour qu’enfin l’avant-projet soit examiné en conseil du gouvernement le 27 avril en dit suffisamment long sur l’embarras du gouvernement.

Malgré un accord « historique » de l’OPEP+ pour une baisse de 9,7 millions de B/J à partir de mai, le  Brent n’a côté  que 25$/B en moyenne du 1er au 27 avril. Ainsi le prix du baril n’arrive pas à se relever et  les risques sont grands qu’il se maintienne un niveau bas jusqu’au début du semestre prochain. Encore qu’à ce moment-là, s’il y a reprise, elle sera lente, tout comme le sera donc la remontée des prix pétroliers. Sans oublier la baisse en volume des exportations ainsi que de la demande nationale en produits pétroliers. On peut être plus optimiste pour le gaz dont la demande faiblira moins.

La chute de la production nationale hors hydrocarbures sera importante aussi. Certains secteurs sont à l’arrêt par décision des autorités. C’est le cas du secteur « hôtels, restaurants et café », des commerces autres qu’alimentaires, des services (autres que financier et communication) et des transports publics de voyageurs. Ainsi dès la deuxième quinzaine de mars, NAFTAL constate une chute importante de la demande pour ses produits allant de 50% à 80%. La compagnie annonce une perte d’environ 50% de son chiffre d’affaire pour la période de mi-mars à mi-avril.

A cause du confinement et de l’arrêt des transport public, l’activité d’une majorité d’autres secteurs  est fortement perturbée, en raison des difficultés à assurer le transport des travailleurs ainsi que la  distanciation sur les lieux de travail.

Aux effets de ce choc d’offre s’ajoute un choc de demande pour les secteurs qui auraient échappé. De nombreuses entreprises ont réduit fortement leur effectif ou tout simplement arrêté de travailler.  Dans le secteur privé, ces réductions et arrêts se font avec une réduction des salaires ou simplement leur non-paiement . Dans nombre de petites ou très petites entreprises, les propriétaires voient aussi, leurs revenus diminuer. Sans parler enfin du secteur informel où l’arrêt de l’activité signifie la disparition du revenu. C’est donc à une baisse certaine de la demande des ménages qu’il faut s’attendre. Les seuls secteurs qui semblent pouvoir y échapper sont l’agriculture et les IAA, l’eau et l’énergie domestique pour les ménages, le secteur pharmaceutique, le commerce des produits alimentaires, les communications et à un degré moindre les services financiers.

A cette baisse de la demande des ménages, se rajoute celle des entreprises  aussi bien pour l’exploitation, l’activité courant, que l’investissement. Dans une telle situation les entreprises reporteront leurs investissements sauf ceux qui sont déjà engagés. C’est ainsi que de la même manière que pour NAFTAL, le CNRC a enregistré une chute brutale des inscriptions durant le mois de mars en contraste avec les mois de janvier et février qui, au contraire, ont bénéficié d’un effet de rattrapage, les inscriptions de 2019 ayant souffert de l’incertitude crée par le Hirak.

Si le maintien des salaires des fonctionnaires et des travailleur du secteur public ainsi que, dans une partie du privé[1], freine quelque peu la baisse de la demande des ménages, l’évolution de cette dernière après le confinement pourrait obéir à deux scénarios : une reprise lente et prudente ou au contraire une reprise rapide utilisant notamment l’épargne accumulée par une partie des ménages durant le confinement, du fait d’une consommation limitée. Ce serait alors juste un report de consommation d’un trimestre par exemple aux deux suivants. Mais pour l’ensemble de l’année, il est clair que la consommation des ménages va baisser. La question est jusqu’à quel point au cours de ce deuxième trimestre, et est-ce qu’elle va remonter  au troisième et à quelle rythme.

Pour l’investissement, il est clair qu’il faut s’attendre à une baisse de celui des entreprises, sauf peut- être les secteurs cités plus haut où la demande se maintient. La reprise future de l’investissement ne va sans doute pas se concrétiser cette année, en raison de l’incertitude persistante. Ce sera notamment le cas dans le secteur de l’énergie (hydrocarbures, électricité…). Les investissements de ce secteur constituent une proportion très élevée de l’investissement des entreprises.  Cette baisse de l’investissement viendra donc impacter fortement  la demande globale. Mais il faut remarquer qu’elle va se répercuter beaucoup plus sur les importations que sur la production locale, le gros des biens d’équipement étant importé.

Il pourrait en être autrement pour l’investissement public. Si en effet, il serait tentant, tenant compte des tensions sur le financement du déficit budgétaire, de faire des coupes dans le budget d’équipement, on peut se demander si cela serait une bonne idée tenant compte de la situation du BTPH d’une part, et aussi de la nécessité de soutenir la reprise après le confinement pour qu’elle soit rapide. Il faut ajouter aussi que le secteur du BTPH est un des plus gros pourvoyeur d’emploi.  Réduire fortement le budget d’équipement participerait donc à élever fortement le taux de chômage. Ceci se rajouterait  à l’arrêt d’une proportion très importante des activités informelles, fortes pourvoyeuses d’emploi aussi. Une analyse approfondie du budget d’équipement est ici nécessaire pour maximiser son effet sur l’activité et dans le même temps réduire les importations de services non facteurs  dont une importante partie est constituée d’études et conseil pour l’administration .

Le financement du déficit budgétaire reste par contre entier, d’autant qu’au déficit prévu par la loi des finances initiale, même révisée, s’ajouterait le financement de mesures de soutien pour les ménages et pour les entreprises et surtout la baisse des recettes pétrolières. Mais des solutions existent (voir notre article crise sanitaire, crise pétrolière et soutien aux ménages et aux entreprises) .

Les mesures introduites par la banque d’Algérie, en desserrant fortement les contraintes de liquidité des banques (voir notre article mesures de la banque d’Algérie pour contrer l’impact de la crise sanitaire sur l’économie), contribueront à résoudre les tensions sur le financement de l’économie, d’autant que la demande de financement de l’investissement sera beaucoup moindre que les années précédentes.  La grande inconnue est dans quel mesure le trésor sollicitera lui aussi la banque d’Algérie ou les banques commerciales.

Les importations de pratiquement toutes les catégories de biens hors alimentaires devraient baisser assez fortement, en raison de la baisse de l’activité des entreprises et de leurs investissements, et sans doute aussi de la baisse des importations de services par l’administration (associés au budget d’équipement). Les importations de biens de consommation industriels devraient baisser fortement aussi. La baisse du DA participera aussi à la baisse des importations. Il est difficile de mesurer toutefois l’ampleur de cette baisse.

Une forte incertitude liée à l’évolution des prix pétroliers pèse sur les exportations. Il est à craindre que les prix demeurent autour de la moyenne actuelle (25$) jusqu’à la fin du semestre tenant compte de l’engorgement du marché et de la saturation des capacités de stockage. On peut espérer par contre une remontée au fur et à mesure d’une reprise qui pourrait se confirmer à partir de juillet, mais qui sera loin de réaliser l’hypothèse de la loi des finances initiale (50$). Dans un tel contexte il faut s’attendre à un déficit important de la balance courante (voir notre article vers un déficit record de la balance des paiements?), autour de 20 milliards de dollars. Ce sera aussi celui de la balance des paiements[2]. Un montant équivalent sera donc tiré des réserves qui seront ramenées à un peu plus de 40 milliards de dollars. A noter un effet de change positif, l’euro se dépréciant actuellement par rapport au dollar.

Il est difficile d’émettre des hypothèses sur l’inflation en raison de l’incertitude qui pèse sur l’ampleur du déficit budgétaire et la manière dont il sera financé. Toutes choses égales par ailleurs, au moins un élément, devrait amener une croissance des prix, la baisse amorcée du DA.

En résumé, la loi des finances complémentaire qui s’annonce sera sans doute une des plus difficile qu’aura eu à élaborer un gouvernement en raison des conséquences qu’elle aura à un terme très proche. Soit un effort de croissance raisonnée des dépenses qui soutiendra les ménages et les entreprises ainsi que la demande publique et contribuera à faciliter la reprise. Soit l’imposition d’une rigueur budgétaire, peut être inutile dans le contexte actuel, et qui conduira à des difficultés de reprise et certainement à des très fortes tensions sociales, difficiles à contenir. Mais même si le gouvernement opte pour le premier scénario, cette crise ainsi que l’amenuisement de la rente pétrolière qui s’annonce, appellent désormais une gestion sérieuse du pays, et la mise en œuvre urgente de réformes politiques et économiques reportées depuis des lustres.


Notes:

  1. ^ au moins des secteurs qui ont pu sauvegarder leur activité : agriculture, eau et énergie, hydrocarbures, Industrie agro-alimentaire, transport et commerce de bien alimentaires, autres transport de marchandises, communication, finances et banques…
  2. ^ La balance des capitaux est pratiquement équilibrée.