Dans la situation de crise que nous vivons, une bonne partie des tensions auxquelles est confronté le système économique va se concrétiser sur le système bancaire. A commencer bien entendu par le risque de raréfaction des liquidités.

Non remboursement d’échéances, chute des dépôts sont autant de motifs qui augmentent les besoins de ressources des banques. Du côté de la demande de crédits par contre, s’il faut s’attendre à une chute de la demande de crédit d’investissement, il en est tout autrement des crédits d’exploitation, non seulement pour reporter les échéances de la dette, mais aussi pour satisfaire les besoins de trésorerie notamment pour payer les salaires, ou simplement parce-que les créances que détiennent les entreprises les unes sur les autres ne sont pas honorées.

Prévenant quelque peu cette situation la banque d’Algérie avait rapidement révisé ses conditions afin d’améliorer la liquidité des banques en baissant son taux directeur et le taux de réserves  obligatoires, respectivement de 3,5% à 3,.25% et de 10%  à 8%, à partir du 15 mars 2020. Le 6 avril, a émis une instruction allègeant, exceptionnellement, certaines dispositions prudentielles en matière de liquidité, de fonds propres et de classement des créances.  Plus précisément :

  • Le seuil minimum du coefficient de liquidités est ramené à 60%[1]. Ce seuil était fixé depuis 2011 à 100%. C’est donc une contrainte très forte en matière de liquidité qui s’est vu relâchée.

  • suppression de l’obligation de constitution du coussin de sécurité[2]

  • Autorisation de reporter le paiement des tranches de crédits, arrivant à échéance, ou de procéder au rééchelonnement des créances de la clientèle ayant été impactée par la crise du Covid 19. Ces créances sont soustraites  aux  dispositions de l’article 07 du règlement n°2014-03 du 16 février 2014 relatif au classement et provisionnement des créances et des engagements En clair les créances relevant de ce dispositif vont être considérées comme des créances courantes et vont nécessiter un provisionnement minimal, ne dépassant pas 3%, tandis que leur classement « normal » (créances à problèmes potentiels, créances très risquées, ou créances compromises) aurait nécessité un provisionnement au taux minimum de 20 %, 50 % ou 100 % respectivement.

  • Enfin, les banques et établissements financiers peuvent consentir de nouveaux crédits à la clientèle ayant bénéficié des mesures de report ou de rééchelonnement au titre de ce dispositif exceptionnel.

Si ces mesures vont à coup sûr améliorer la liquidité des banques, il est difficile de dire quel pourrait être leur impact réel. La baisse du taux de réserves obligatoire de 10 à 8% permet théoriquement de libérer quelques  plus de 210 milliards de dollars de liquidités[3]. La baisse du taux directeur permet aussi aux banques de se refinancer à moindre coût sur le marché interbancaire ou bien le refinancement par la Banque d’Algérie (open-market). Le non classement des créances échues à fin Mars et postérieurement aura un impact plus ou moins important suivant les créances qu’il va couvrir. En particulier s’il va couvrir d’anciennes créances classées, et  s’il couvre la totalité de la dette ou bien seulement les échéances échues. Dans le cas le plus favorable pour les banques cela permettrait de libérer, ne serait- ce que momentanément, des provisions sur des créances auparavant classées, c’est-à-dire risquées. Enfin l’abaissement du seuil minimum du coefficient de liquidité de 100 à 60% augmente bien entendu leur possibilité d’octroi de crédit.

Bien que l’ensemble de ces mesures peut permettre aux banques de répondre aux besoins de financement de l’économie durant cette période exceptionnelle il est difficile de savoir à quel point ces différents assouplissements suffiront. D’autant que par ailleurs les besoins de l’Etat et du trésor sont très importants et que leur financement est tout aussi problématique. Les statistiques publiées par le FMI, font état de 12,3% des prêts bancaires non performants à la fin 2017, où cette statistique s’arrête pour l’Algérie[4].

Les maigres informations dont on dispose, plutôt qualitatives que quantitatives, suggèrent des situations de trésorerie des entreprises publiques, difficiles y compris avant l’entrée dans la crise. Par ailleurs un certain nombre de groupes qui ont concentré les crédits au secteur privé  sont dans des situations extrêmement délicates, et on peut imaginer facilement, au vu des montants rendus publics lors de procès de dirigeants de certains d’entre eux, qu’ils constituent des risques importants pour les banques dont ils sont clients.

Dans un tel contexte, une des faiblesses du système bancaire algérien, le fait qu’il soit majoritairement propriété de l’Etat constitue sans doute un atout dans cette conjoncture. Les accords interbancaires peuvent être obtenus d’autant plus facilement et bien entendu l’Etat peut au besoin recapitaliser toute banque défaillante… en attendant une véritable réforme du secteur financier.

C’est dans un tel contexte qu’on mesure l’indigence des statistiques monétaires et financières disponibles. C’est ainsi que la dernière situation mensuelle de la banque d’Algérie dont on dispose remonte à novembre 2019. Celle sur les banques, trimestrielle, remonte à fin mars 2019. Les indicateurs mensuels du marché monétaires remontent eux à … Aout 2016, et les derniers indicateurs sont ceux du deuxième semestre 2019.  La situation des opérations du trésor remontent à la fin octobre 2019 etc…

Nous sommes dans la même situation quand on recherche les situations des banques. S’il est vrai qu’il faut attendre l’été pour avoir les rapports de 2019, aucune d’elle ne fait l’effort dans un souci de transparence pour publier des rapports infra-annuel, trimestriel par exemple.   Inutile de se tourner vers l’ABEF. Les dernières données disponibles sur son site remontent à 2013.

On est bien entendu dans la même situation concernant la plupart des grandes entreprises publiques et privées.

Cette attitude par rapport à des statistiques qui permettent aux citoyens et aux entreprises de se faire une idée objective de la situation que nous traversons, dénote un parti pris d’une administration qui affirme une sorte de pouvoir absolu et d’un citoyen réduit à consommer des bulletins de santé optimistes. Jusqu’au moment où la catastrophe arrive. Revenir sur l’obligation de publication de l’information bancaire et financière, et économique de manière générale est absolument nécessaire.


Notes:

  1. ^ L’Article 3 du règlement 2011-04 stipule que  « les banques et les établissements financiers sont tenus de respecter un rapport entre, d’une part, la somme des actifs disponibles et réalisables à court terme et des engagements de financement reçus des banques, et, d’autre part, la somme des exigibilités à vue et à court terme et des engagements donnés. Ce rapport est appelé coefficient minimum de liquidité. Les banques et établissements financiers doivent à tout moment présenter un coefficient de liquidité au moins égal à 100 %.»
  2. ^ Le coussin de sécurité a été défini par l’article 04 du règlement n°2014-01 portant coefficients de solvabilité. Ce coussin de sécurité défini en plus du coefficient minimum de solvabilité est composé de fonds propres de base et doit couvrir 2,5% de leurs risques pondérés. Le coefficient minimum de solvabilité est le rapport entre les fonds propres réglementaires et la somme des risques de crédits, opérationnels et de marché pondérés.  Ce coefficient doit être supérieur à 7,5%. En plus de le rapport fonds propres de base sur les risques de crédit, opérationnels et de marché, doit être supérieur à 7%.
  3. ^ Estimation basée sur le montant des dépôts à vue et à terme dans les banques à fin mars 2019.
  4. ^ Repris dans “Regional Economic Outlook Update  Middle East and Central Asia” du Avril 2020