La population algérienne pouvait être estimée à 43,9 millions d’habitants au 1er janvier 2020 et son taux de croissance annuel moyen à 1,99%/an. Après être passé de 2,49 à 1,44 entre 1990 et 2000, ce taux est remonté progressivement ensuite, pour atteindre 2,17% en 2016. Il baisse de nouveau depuis cette année. En Tunisie et au Maroc, la transition démographique amorcée à peu près simultanément qu’en Algérie s’est poursuivie de manière continue.  Le même taux était de 1,46% en 2017 au Maroc et de 1,21 en Tunisie. Au total, la population algérienne dépasse assez largement la population marocaine, à présent, alors qu’elles se sont talonnées pendant une bonne période.

Il en est de même pour un indicateur important, la taille moyenne des ménages. Il n’y a pas d’enquête officielle qui la donne pour les années récentes, mais elle devrait se situer entre 4,5 et 5 personnes, après 5,9 en 2008. En Tunisie, elle était de 4,05 personnes par ménage en 2014, et au Maroc, elle se situait à 4,4 personnes par ménage en 2017.

L’évolution de la taille moyenne des ménages en Algérie a résulté de deux mouvements contradictoires. D’une part une évolution favorable des revenus et surtout du parc logements qui a amené naturellement à l’abandon du modèle familial traditionnel pour le modèle nucléaire du couple avec ses enfants qui est devenu majoritaire, et dans le même temps un accroissement démographique élevé qui maintient un nombre d’enfant par couple élevé. Au total le nombre de ménages devait se situer entre 8,8 et 9 millions en janvier 2020.

Nous allons ci-dessous nous intéresser aux revenus des ménages et ensuite à leur consommation, ceci nous permettre de d’émettre quelques hypothèses sur l’impact du confinement sur les ménages algériens.

Le revenu des ménages en 2018

Le gros des revenus des ménages sont des revenus d’activité, c’est-à-dire, suivant la situation individuelle de ses membres, des revenus salariaux ou bien de propriété d’une entreprise (entreprises de tous types, y compris exploitation agricoles et entreprises informelles).  Arrivent ensuite les revenus de retraites et de pensions de tout ordre. Des revenus de loyers ou de placements, ainsi que de transferts (bourses, différents types de soutien à des populations défavorisées). Ces revenus sont estimés par la comptabilité nationale[1].  

En 2018, les ménages ont reçu 12.244 milliards de DA de revenus bruts se décomposant entre 5.524 milliards de rémunération brute des salariés et 6.721 milliards de DA de revenus des entrepreneurs individuels (excédent brut d’exploitation).  Sur ce montant, ils ont payé ou reçu en net les montants suivants des loyers, intérêts, impôts, assurances, assurances sociales ou autres transferts :

Tableau 1 : Solde des opérations du compte de revenu des ménages en 2018
Opérations Montant net
Loyers 4,4
Intérêts -190
Impôts directs -931
Primes d’assurances- indemnités d’assurances -35,8
Prestations sociales-cotisations sociales 392
Services Financiers -37
Autres transferts courants 387
Revenu Disponible Brut 11835

Unités : Milliards de DA
Source : ONS, TEE de 2018

Au total, cela leur a laissé un revenu disponible brut de 11.835 milliards de DA. Ce revenu disponible a été utilisé en consommation finale pour 8.442 milliards de DA et a dégagé une épargne de 3.394 milliards, soit 16,7% du PIB. Cette épargne a financé 2.043 milliards d’investissement, de variation de stocks et d’acquisition de terrain et dégagé une capacité de financement de 1.431 milliards de DA[2].

Nous ne disposons pas encore du TEE de l’année 2019, pour appréhender le revenu des ménages (et des entrepreneurs individuels), mais comme le PIB de 2018 et celui de 2019 sont à peu près identiques, et les valeurs ajoutées sectorielles assez proches, il est probable que le revenu des ménages et entrepreneurs individuels de 2019 ne soit pas trop éloignés de celui de 2018.

La consommation des ménages en 2018

 Comme nous l’avons vu précédemment, la consommation des ménages s’est élevée en 2018, à 8442 milliards de DA, dont 8384 sur le territoire national et 58 milliards de dinars hors du territoire national. La consommation des ménages accapare ainsi 71,3 % de leur revenu disponible brut et correspond à 42% du PIB.

En 2019, la consommation des ménages était évaluée à 8920 milliards de DA, soit 44% du PIB.  Les autres composantes du PIB, et leurs contributions à la demande étaient les suivantes en 2019 :

Tableau 2 : contribution des différentes composantes de la demande au PIB en 2019
Composante %
Consommation des ménages 44,0
Consommation des administrations 18.6
Investissement (y.c variation de stocks) 44.3
Balance commerciale (biens et services) -6.9
Total 100

Source : ONS, comptes nationaux trimestriels 2019

Dans une situation standard, l’investissement et la consommation des administrations ont une contribution à la demande beaucoup moins importante au profit de la consommation des ménages qui dépasse 60%. La part importante de la consommation des administrations et plus encore de l’investissement est une spécificité algérienne qu’explique le poids de la dépense publique dans la demande, et qui elle-même s’explique par l’importance de la rente des hydrocarbures dans les recettes budgétaires.

La composition par produits de la consommation des ménages est donnée par le TES, le tableau entrées-sorties. Il donne pour chaque produit, assimilé à un secteur d’activité, son équilibre ressources-emplois. Les ressources étant la production et les importations, et les emplois, les consommations intermédiaires et les emplois finaux (consommation, investissements, solde du commerce extérieur).  La nomenclature des secteurs est la NSA[3].

La structure de la consommation montre clairement l’importance prise par deux postes, l’alimentation (produit de l’agriculture et de la pêche et Industrie agro-alimentaire) et les transports et communication. Les deux postes réunis totalisent 76,4% de la consommation des ménages. Ces proportions sont extrêmement élevées en raison, notamment, du fait que les loyers n’y figurent pas. Habituellement ceux-ci totalisent en effet un montant important dans la consommation des ménages parce que les loyers que se paient à eux-mêmes les ménages propriétaires y sont comptabilisés. Par ailleurs, les loyers effectivement payés à d’autres agents économiques sont plutôt modiques. Ils sont évalués à 4,4 milliards de DA en 2018[4].

Tableau 3 : répartition de la consommation des ménages en 2018 par « produit » NSA
  Montant %
Agriculture, sylviculture, pêche 2616497 31,0
Eau et Energie 138703 1,6
Hydrocarbures 133352 1,6
BTPH 100380 1,2
ISMMEE 293894 3,5
Industries Agro-alimentaires 860371 10,2
Matériaux de Construction 3520 0,0
Chimie, Plastiques, Caoutchouc 280101 3,3
Textiles, confection, bonneterie 320538 3,8
Cuirs et Chaussures 85367 1,0
Bois, Papiers et lièges 78710 0,9
Industries diverses 83631 1,0
Transport et communications 2967602 35,2
Hôtels cafés restaurants 259400 3,1
Services fournis aux ménages 219490 2,6
Total 8441556 100,0

Unité : millions de DA
Source : ONS, TES 2018

Quelques impacts du confinement

Le confinement a d’abord un impact sur les revenus. S’agissant des salaires, ceux de l’administration et des entreprises publiques continuent à âtre versés. Dans le secteur privé c’est le cas au moins dans les secteurs jugés essentiels comme l’agriculture et les IAA, le secteur pharmaceutiques, les banques, les communications, le transport de marchandise, ainsi que les activités commerciales spécialisées dans ces produits (importation, commerce de gros, commerce de détail).  L’arrêt des transports publics a conduit à une très forte réduction de l’activité dans les autres secteurs. Les autorités ont appelé à continuer à verser les salaires, l’Etat devant prendre en charge les coûts par la suite, mais sans qu’il ne soit spécifié de quelle manière ni à quel moment. De ce fait, il est fort probable que les entrepreneurs de ces secteurs aient cherché des formules réduisant très fortement les salaires versés, ou même procédé à des licenciements purs et simples, en l’absence de prise en charge par l’Etat d’indemnités de   chômage technique. Une partie non négligeable des revenus salariaux ne sera donc pas versée. Elle sera d’autant plus importante que durera le confinement. Si le ¼ des revenus salariaux était touché, il faut compter 100 milliards de DA environ chaque mois.

Mais les revenus qui seront le plus impacté seront sans doute ceux des entrepreneurs individuels.  Pour le moment seuls les entrepreneurs individuels s’adonnant aux activités listées ci-dessus échappent à l’impact du confinement. En particulier la majorité des commerces non alimentaires, les artisans, les professions libérales, les petites entreprises de moins de 10 salariés sont pratiquement à l’arrêt pour cause de difficulté de transport ou simplement parce-que l’activité leur est interdite. Dans la mesure où aucun dispositif de soutien à ces entreprises n’est prévu cela se solde par 200 ou 300 milliards de DA de pertes de revenu par mois, sans compter les pertes d’exploitation éventuelles. Cette estimation comprend les pertes dans les activités informelles.

Dans une proportion importante les entrepreneurs individuels du secteur formel, qu’on peut estimer à 1.200.000 environ[5] auraient des revenus relativement élevés et disposeraient d’une épargne. Cette situation aurait donc un impact réduit à court terme sur leur consommation mais très importante sur leur épargne dans la mesure où ils doivent assurer la continuité de leur entreprise par autofinancement lorsque cela est possible. Un confinement de deux ou trois mois en conduiraient sans doute beaucoup à la fermeture pure et simple.

Dans le secteur informel le confinement et les mesures mises en place conduisent par contre à un arrêt brutal de la plupart des activités. Les revenus tirés de ces activités sont généralement modestes et leur titulaire n’ont pas d’épargne. Cela les met dans des situations très difficiles, même si la reprise de leur activité après le confinement pourrait être assez rapide[6], si la demande existe. 

On peut évaluer la population occupée dans l’informel à quelques 3.400.000[7] auxquels se rajoutent environ 200.000 travailleurs salariés du secteur formel non couverts par la sécurité social. Ce sont donc au minimum environ 2 à 2,5 millions d’occupés dans l’informel qui se retrouvent sans ressources.  Un dispositif national devrait prendre en charge leurs ménages[8], mais les versements monétaires sont pour le moment limités au mois de Ramadhan. Les ménages des exploitants agricoles ou des salariés agricoles bénéficieraient aussi de ce dispositif lorsqu’ils remplissent les conditions.

Au total les pertes de revenus induites par le confinement se chiffreraient à quelques centaines de milliards de DA par mois. Les dispositifs de soutien aux entrepreneurs individuels ou aux ménages prennent très insuffisamment en charge ces pertes. Ceci a un effet immédiat en terme de consommation de ces ménages, mais aussi à terme en rendant plus lente la reprise du fait de la destruction probable d’un nombre négligeable d’entreprises, et aussi par la chute de la demande du fait de la chute des revenus.


Notes:

  1. ^ Ils sont retracés dans un de ses principaux tableaux, le tableau économique d’ensemble (T.E.E). Celui-ci retrace pour les différents agents économiques[1] les emplois et ressources pour deux types d’opérations (sur biens et services, et répartition) à travers cinq comptes (production, exploitation, revenus, utilisation du revenu, capital) dans tableau un tableau global où les opérations sont équilibrées entre les ressources et les emplois les comptes de chaque agent sont équilibrés entre les ressources et les emplois de cet agent.  En comptabilité nationale, l’agent ménages est agrégé avec les entrepreneurs individuels. Cette agrégation se justifie par le fait que les entrepreneurs individuels ne font pas de séparation, entre leurs opérations en tant qu’entreprise et leurs opérations ne tant que ménage, tout au moins pour des opérations importantes (revenu du ménage et revenu de l’entreprise, épargne, capacité de financement etc…).  Le comptable national algérien prend comme entreprises de ce type l’ensemble des entreprises de moins de 10 salariés n’ayant pas de comptabilité complète.
  2. ^ Malheureusement les comptes établis par l’office national des statistiques, qui élabore les comptes nationaux, s’arrête à ce dernier agrégat. Pour bien analyser la situation des ménages, il aurait fallu en réalité élaborer le compte financier des ménages et entrepreneurs individuels de manière à montrer comment cette capacité de financement s’est dégagée du point de vue des opérations financières. Cela consiste à retracer les variations de dettes et de créances de différents type (bancaire, actions, obligations …), l’acquisition ou la cession d’or, ainsi que la détention de monnaie (monnaie fiduciaire, dépôts à vue, dépôts à terme etc…).  Malheureusement ce compte financier n’est pas élaboré par les comptes nationaux algériens. En dehors du fait qu’on ne dispose donc pas d’outils pour analyser le comportement financier des ménages[1], cela enlève aussi un outil précieux pour juger de la qualité des comptes nationaux. Le compte financier, et le compte de capital ont en effet le même solde, la capacité de financement. La mesure de solde par deux méthodes indépendantes permet, lors des travaux d’élaboration des comptes nationaux, de juger de la cohérence globale des comptes. Un autre problème des comptes nationaux algériens est l’absence de séparation entre les ménages et les entrepreneurs individuels.  Il est en effet nécessaire de faire cette séparation au moins pour l’épargne, l’investissement et la capacité de financement pour analyser précisément le comportement de consommation, d’épargne ou financier des ménages.
  3. ^ Nomenclature des secteurs d’activité. Cette nomenclature est issue de la nomenclature algérienne des activités et des produits, adoptée en 1980. En 2000, elle a été remplacée par la NAA, nomenclature algérienne des activités.
  4. ^ Ils ne sont pas pris en compte ci-dessus, car il n’y apparait que les secteurs dits productifs au sens du SCEA (Système des Comptes Economiques Algériens). Le secteur affaires immobilière n’est pas considéré par le SCEA comme un secteur productif.
  5. ^ Correspondant au nombre de cotisant à la CASNOS.
  6. ^ Ces activités exigent en effet un faible capital.
  7. ^ Voir notre article à ce sujet
  8. ^ Les walis ont été instruits pour mettre en place dans chaque commune, des comités de villages et de quartier qui, sous la responsabilité des bureaux d’action sociale, et avec les associations ainsi que les notables, élaboreraient des listes des bénéficiaires de l’aide.