A l’heure de la crise sanitaire, où il faudrait mettre en place un dispositif de soutien aux entreprises, la disponibilité de statistiques permettant de faire rapidement le point sur la population d’entreprises existantes et leurs caractéristiques aurait été d’une utilité certaine, en particulier leur taille en terme d’effectifs employés, ainsi que leurs statuts, le chiffre d’affaire, ainsi que le secteur de l’activité principale.
Or s’il existe des fichiers administratifs, ceux chargés des prélèvements fiscaux et parafiscaux, qui devraient permettre de donner quelques indices pour l’administration (Impôts, CNAS, CASNOS, OPREBATPH) leurs données sont difficiles à recouper, font rarement l’objet de publications, et lorsque c’est le cas sont très parcellaires.
Certains organismes d’enregistrement tels que le CNRC publient régulièrement leurs statistiques. La CNAM (caisse nationale de l’artisanat et des métiers) beaucoup moins. La chambre nationale d’agriculture ne semble pas avoir de site web. De la même manière que rares sont les ordres professionnels qui disposent d’un site internet avec la liste de leurs membres.
Quoi qu’il en soit, le résultat final est que nous ne disposons pas d’un fichier des entreprises de tous types qui puisse nous dire à tous moment quel est le nombre d’entreprises existantes et nous en donner quelques caractéristiques. Ceci devrait être l’affaire de l’ONS, qui gère notamment un numéro d’identification statistique. Mais malheureusement les répertoires qu’il a constitué sont loin d’être satisfaisants.
1. Les entreprises inscrites au CNRC
La difficulté principale avec cette population est qu’elle n’est pas mise à jour complètement. Le CNRC enregistre les nouvelles inscriptions, ainsi que les radiations et les modifications. Le signalement des radiations est volontaire. Le processus de cessation aux impôts et celui de radiation au CNRC semblent déconnectés. Surgit alors la principale difficulté posée par la statistique du CNRC. Il s’agit des inscriptions actives, c’est-à-dire dont la radiation n’a pas été demandée, et non d’existence effective d’entreprises ou d’établissement. Le nombre d’entreprises qui n’existent pas réellement peut être très important.
Deuxième problème, le classement par activité. Le classement d’une entreprise dans une activité doit obéir au critère de l’activité principale, c’est-à-dire celle où elle a la production la plus élevée en montant. Or, nous n’avons aucune information sur cette activité principale, alors que l’entreprise, à n’importe quel moment peut inscrire des codes activités supplémentaires en modifiant son inscription. Ce problème se pose d’ailleurs dans le classement par activité de l’office national des statistiques que nous verrons plus loin.
Que donnent alors le CNRC comme population d’entreprises. Rappelons qu’il s’agit seulement des entreprises commerciales.
A la fin 2018, le CNRC donnait un total de 1.819.169 personnes physiques et 194.205 personnes morales, soit un total de 2.013.374.
Ces entreprises peuvent être distinguées entre établissement principal et établissement secondaire. Cette distinction nous permet en effet de ne retenir que les entreprises effectives, un établissement secondaire étant toujours rattaché à un établissement principal.
C’est ainsi que les personnes physiques comptaient 1.617.784 établissements principaux et 201.385 établissements secondaires. Les personnes morales comptaient 140.061 établissements principaux et 54.144 établissements secondaires.
Il est intéressant de voir aussi comment se répartissent ces entreprises par grands secteurs d’activités. La statistique est donnée établissements principaux et établissements secondaires confondus[1]. La production industrielle comprend aussi le BTP. On retiendra que la très grande majorité des entreprises algériennes activent dans le commerce de détail ou les services. Une partie beaucoup moins importante dans l’industrie et le BTP.
Production Industrielle | 15,0 |
Production Artisanale | 0,3 |
Commerce de gros | 4,3 |
Import & export | 2,1 |
Commerce de détail | 41,0 |
Services | 37,4 |
Total | 100,0 |
Source : d’après CNRC
Mais comme nous le disions plus haut en réalité, sur le terrain les entreprises existantes sont beaucoup moins nombreuses. Ainsi au cours de nombreuses enquêtes qu’ECOtechnics a réalisé auprès des entreprises il n’était pas rare que le taux des entreprises qu’on retrouvait effectivement sur le terrain soit juste d’environ 50%. Un indice de cette réalité est que chez les personnes morales, le nombre d’entreprises déposant leurs comptes sociaux est très loin du nombre donné plus haut. Ainsi pour les dépôts de 2018, le CNRC donne un nombre de 119.700 personnes morales soumises au dépôt et seulement 62.354 dépôts, soit 52%.
Afin de redresser la population donnée par le CNRC, nous avons appliqué un coefficient de 70%. Ce coefficient est issu de la comparaison entre la population fiscale donnée par le DGI pour l’IBS pour les années 2010 à 2014. Nous appliquons aussi la même proportion aux personnes physiques. Sur cette base nous estimons la population inscrite au CNRC à 1410000 se décomposant en 136.000 personnes morales et 1.273.000 personnes physiques.
Avant d’en venir aux chiffres de l’ONS, nous allons d’abord voir ce qui est donné par les autres types d’entreprises. Voyons d’abord du côté des artisans.
2. Les artisans
Le fichier des artisans est centralisé par la chambre nationale de l’artisanat et des métiers. Les statistiques existant sur son site internet sont plutôt pauvres, mais elles ont le mérite de nous fournir une estimation du nombre d’artisans. Toutefois, sans indiquer l’année.
Il apparait ainsi 517.000 inscriptions, avec 165.142 radiations et un net de 391.099. Nous supposerons que c’est ce dernier chiffres qui sensé être le nombre d’artisans existant dans la réalité.
Dans les faits, même ce chiffre est très certainement surestimé. Une enquête réalisée par ECOtechnics auprès des artisans, mais qui date malheureusement (2009), montrait aussi qu’une proportion relativement importante avait cessé l’activité. Cette proportion était de 26%, Par ailleurs on ne pouvait pas retrouver 22% sur le terrain, sans qu’on sache s’ils ont cessé ou non l’activité. c’est-à-dire qu’on n’était sur de l’existence que de 52% des artisans du fichier. M^me si on ne tenait compte que de la proportion dont on est sû qu’ils ont cessé l’activité, notre nombre net des artisans serait de. Si nous l’appliquions au chiffre précédent du nombre des inscriptions nettes nous aurions ainsi seulement 290.000 artisans.
La décomposition par secteurs d’activité, est faite malheureusement sur le total des inscriptions et non sur le net. C’est la suivante.
Nombre d'entreprises(A) | % | Emplois (B) | % | (A/B)(emplois/entreprise) | |
---|---|---|---|---|---|
Artisanat traditionnel et d'art | 168384 | 30,3 | 463306 | 45,7 | 2,8 |
Artisanat de production de biens | 105038 | 18,9 | 186045 | 18,4 | 1,8 |
Artisanat de services | 282819 | 50,8 | 363779 | 35,9 | 1,3 |
Total | 556241 | 100 | 1013131 | 100,0 | 1,8 |
Source : site CNAM
Afin d’avoir une idée précise de ce secteur, nous reprenons ci-dessous les 5 activités les plus pratiquées :
Activités | Entreprises | % |
---|---|---|
Confection d'habits traditionnels | 61569 | 11,1 |
Maçonnerie | 52238 | 9,4 |
Pâtisseries et gâteaux traditionnels | 31235 | 5,6 |
Coiffure pour femmes | 29119 | 5,2 |
Nettoyage des rues et réseaux divers | 25878 | 4,7 |
Autres | 356202 | 64,0 |
Total activités artisanales | 556241 | 100 |
Source : site CNAM
3. Les professions libérales
A côté des artisans qui n’apparaissent pas au registre de commerce plusieurs autres types d’entreprises n’y apparaissent pas non plus. A commencer par les professions libérales. Les modalités d’inscription à ces professions sont diverses. Le plus généralement il s’agit aussi de professions réglementées pour lesquelles l’administration en charge doit donner son agrément. Soit au niveau du ministère ou d’une direction de wilaya. L’inscription dans l’ordre professionnel correspondant est généralement obligatoire.
Du point de vue des impôts « la législation fiscale arrive à cerner et définir les revenus réalisés par les titulaires des professions libérales à partir d’une part du caractère intellectuel prépondérant de celles-ci et d’autre part de l’application des connaissances personnelles scientifiques, ce qui exclut cette catégorie (titulaires des professions libérales) du groupe des salariés et des commerçants »[2]. Il ne s’agit pas de cerner ces critères qui semblent plutôt obsolètes, mais juste d’appuyer l’existence de cette catégorie d’entreprise qu’on a trop tendance à oublier, au point que nous n’avons aucune statistiques officielle. La direction générale des impôts cite un certain nombre de ces profession sans être exhaustive[3]. La première catégorie, celle des professions médicales, est particulièrement importante en nombre ainsi que les avocats. A noter que les pharmacies relèvent du registre de commerce.
Les cabinets privés de santé (spécialiste, généraliste et cabinets dentaires), peuvent être estimées à 25.000 environ actuellement, suivant les tendances qui se dégageaient jusqu’en 2013. Pour les sages- femmes et les vétérinaires nous n’avons pas de statistiques précises. Mais elles doivent facilement atteindre quelques milliers chacune. Le nombre d’avocat était estimé à 30.000 en 2013[4]. Ce nombre a dû être fortement multiplié depuis. Les autres professions ont des effectifs en nombre inégal. Une des plus importantes, comme celle des comptables, étaient un peu moins de 2.500 en comptant experts comptables et les commissaires aux comptes. Au total les entreprises de statut de profession libérale peuvent être estimées à 80.000 environ en 2018.
4. Autres types d’enregistrement
En dehors des types d’enregistrement cités précédemment, on peut en identifier plusieurs autres. Il y a notamment les taxis, qui exercent sous une licence attribuée par la direction des transports de la wilaya. IL y a aussi des activités qui peuvent être exercée après l’accord d’une autorisation par les autorités locales. Les taxis peuvent être estimés à quelques 100.000 actuellement. Nous n’avons aucune indications pour les autres activités.
Au total, nous pouvons estimer le nombre d’entreprises formelles en 2018 à environ 1.270.000 se répartissant comme suit.
Type d’enregistrement | |
---|---|
Personnes physiques CNRC | 1.270.000 |
Personnes morales CNRC | 136.000 |
Artisans | 290.000 |
Professions libérales | 80.000 |
Taxis | 100.000 |
Total | 1876000 |
Source : estimation ecotechnics
Cette estimation ne comprend pas les autorisations administratives.
A ces entreprises devraient s’ajouter aussi les exploitations agricoles, déclarées comme telles à la chambre d’agriculture. Cette population ne sera pas abordée ici.
Venons-en à présent aux entreprises inscrites aux répertoires de l’ONS.
5. Entreprises des répertoires de l’ONS
L’ONS dispose de deux répertoires. Celui des personnes morales et celui des personnes physiques. Sa source principal est le CNRC. Mais il n’inclut dans le répertoire que les entreprises qui ont un NIS, ou numéro d’identification statistique. Au cours des dernières années ce numéro est attribué automatiquement dès que le fichier des nouvelles inscriptions au CNRC est transmis à l’ONS.
Ainsi pour la fin 2018, le répertoire des personnes morales de l’ONS, comprenait 180.000 personnes morales à comparer aux 194.000 personnes morales que donne le CNRC. L’écart entre les deux nombres est sans doute dû au fait que certaines personnes morales inscrites au CNRC n’ont pas d’identifiant statistique.
Il en est de même pour le répertoire des personnes physiques. Ainsi, en 2016, le répertoire donnait 1.162.571 alors que le CNRC donnait 1.717.382 personnes physiques. L’écart, ici aussi est sans doute dû au fait qu’un nombre très important d’entreprises sous statut de personnes physique n’ont pas demandé leur NIS.
Le répertoire des personnes physiques de l’ONS n’inclut pas les artisans, les professions libérales ou autre type d’entreprises, alors que c’est la vocation même d’un répertoire. Retenons aussi qu’il ne fait pas l’objet d’une mise à jour en particulier par confrontation avec les fichiers des impôts ou de la CNAS. Notons enfin que la manière dont est choisie l’activité principale de l’entreprise parmi tous les codes que l’entreprise a choisi lors de son immatriculation au CNRC n’est pas explicitée. On a quelques raisons de penser que c’est le premier code rencontré dans la liste des codes qu’a choisis l’entreprise qui est considéré comme l’activité principale.
Pour toutes ces raisons les répertoires de l’ONS ne semblent pas correspondre à l’outil de connaissance des entreprises algérienne qu’on voudrait et il est sans doute temps que les administrations concernées se concertent pour ce faire.
Notes:
- ^ En fait il y avait 2165892 réparties parce-que certaines étaient comptées plusieurs fois du fait qu’elles apparaissent simultanément dans plusieurs secteurs différents. On peut penser toutefois que le tableau rend approximativement compte de la répartition sectorielle.
- ^ DGI, fiscalité des professions libérales, 2018
- ^ 1) Catégorie des professions médicales• Les chirurgiens;• Les médecins;• Les sages-femmes;• Les dentistes;• Les vétérinaires.2) Catégorie des Professions Judiciaires• Des avocats;• Des défenseurs de justice;• Des traducteurs.3) Catégorie des Charges et Offices• Les notaires;• Les huissiers;• Les commissaires-priseurs.4) Catégories des Techniciens• Les experts comptables et comptables agrées;• Les architectes;• Les ingénieurs-conseils;• Les agents commerciaux;• Les photographes;• Les agents d’assurance et assureurs libres ;• Les conseils juridiques et fiscaux;• Les mandataires et représentants libres.
- ^ Boudiaf Sid Ali, rapport sur la profession d’avocat, 2013, http://forumdesdemocrates.over-blog.com/