Bien que nous n’ayons aucune statistique de l’ONS jusqu’à présent qui permette d’avoir une idée des effets de la crise sanitaire sur les entreprises, un certain nombre d’éléments factuels permettent de dire qu’il a été important dès le la deuxième quinzaine de mars. Son plein effet se fera ressentir pour ce deuxième trimestre d’autant que s’y trouve le mois de ramadhan, qui est un mois de faible productivité.
Un indicateur global d’abord. Début mai, Le PDG du groupe Sonelgaz a fait état d’une baisse du pic de production de 10%. Cette baisse traduit au moins une baisse de la production industrielle. Le gros de la consommation d’électricité est en effet le fait des ménages et de l’industrie. La demande des entreprises, tous secteurs confondus, représente, hors pertes dans le réseau, près de 80% de la consommation d’énergie électrique. La consommation des ménages représente plus de 20%. On peut supposer que celle-ci a été stable ou même qu’elle aurait augmenté depuis le confinement. La baisse du pic de production de 10% traduit donc une baisse de l’activité de plus de 10%, si on suppose une relation linéaire entre la consommation d’énergie et la production ou la valeur ajoutée des différents secteurs d’activité.
Mais les secteurs d’activité ont été touchés de manière très inégale. Certains ont en effet arrêté totalement leur activité. Il s’agit du tourisme(hôtels, restaurants, cafés, agences de tourisme), du transport de voyageurs, de services fournis aux ménages, ou enfin de certains commerces (non alimentaires). Pour ces secteurs, particulièrement le tourisme, la production à partir de la mi-mars a été nulle. Les responsables des associations du secteur du tourisme se sont d’ailleurs réunis avec leur ministre à la fin avril. Le commerce non alimentaire a aussi été violemment impacté, ils ont reçu instruction de fermer dès le début du confinement. Cette instruction a été momentanément levée début mai pour être reprise quelques jours après en raison du non-respect des règles de distanciation et d’hygiène.
Le transport de voyageurs, tous modes confondus, hormis les véhicules particuliers, a aussi été en arrêt total. L’impact de cet arrêt est illustré par la très forte baisse du chiffre d’affaire de NAFTAL, ainsi qu’ Air Algérie, la SNTF, l’ETUSA, l’entreprise du métro d’Alger etc. L’Etusa a perdu 30% de son chiffre d’affaire jusqu’à la fin avril, par rapport à la même période de 2019, la SNTF 50% depuis sa suspension de l’activité de transport de voyageurs à la mi-mars, jusqu’à la fin avril. GATMA (groupe algérien de transport maritime) 50% du début du confinement à la mi-avril. Air Algérie a annoncé avoir demandé à son personnel des baisses de salaires pour s’ajuster à son activité. Elle a aussi annoncé aussi un plan de restructuration. De la même manière que les ports ont annoncé des baisses importantes de leur activité.
Le secteur du bâtiment, qui a déjà connu une forte crise en 2019, au point de demander une amnistie fiscale et parafiscale pour cette année, n’est pas épargné par cette crise non plus. Le président de l’AGEA (Association Générale des Entrepreneurs Algériens), dans une conférence de presse à la fin avril, a estimé que 20.000 à 25.00 entreprises du secteur éprouvent des difficultés après la mise en œuvre du confinement. Beaucoup d’entreprises du bâtiment ont fermé et 150.000 à 200.000 travailleurs sur les 1.300.000 que compteraient le secteur seraient au chômage technique. On comprendra qu’il s’agit, ici, de sa composante. La composante informelle du bâtiment, très importante, a vu son activité s’arrêter brusquement. Il faut toutefois signaler que le programme de construction publique de l’habitat est maintenu et que donc au moins dans la composante demande publique de ce secteur l’activité devrait se maintenir. Il est difficile de se prononcer sur la composante travaux publique du budget, mais elle semble aussi maintenue, tenant compte du fait que le budget d’équipement de la loi des finances complémentaires a pratiquement été maintenu au même niveau que la loi des finances initiale (2.620 milliards de DA contre 2.929). Le ralentissement du bâtiment a bien entendu des répercussions sur les secteurs en amont comme celui des matériaux de construction (ciment et plâtre, produits rouge, agrégats, rond à béton, menuiserie etc…) ou bien les carrières.
S’agissant spécifiquement de la branche services et travaux publics pétroliers, la forte baisse prévue des investissements de Sonatrach va conduire à de grandes difficultés pour un certain nombre d’opérateurs notamment dans le forage (ENTP, ENAFOR, ENSP, BJSP, MIA, BASP, HESP), ainsi que sur les sociétés de gardiennage et de catering . Un certain nombre d’entre eux sont par ailleurs membres du groupe Sonatrach.
L’activité des hydrocarbures va aussi baisser assez fortement du fait de la baisse de la demande mondiale, y compris pour le gaz. Dans les deux cas on a affaire à une baisse effective de la demande, mais aussi des effets de pertes de marché liées pour le gaz à la concurrence du gaz américain, et pour le pétrole brut à la forte baisse de la demande en carburant. Le raffinage du pétrole algérien, qui est un pétrole léger, a pour principal output les carburants. La faiblesse de la demande est aussi au niveau local. Pour le gaz, du fait de la baisse de la demande en combustible des centrales électriques ainsi que des entreprises. Pour le pétrole, du fait de la baisse de la demande en carburant par suite de l’arrêt du secteur de transport des voyageurs. Un mois après le début du confinement NAFTAL signalait une baisse de 50% de son activité.
Rares sont ainsi les secteurs à pouvoir à maintenir un niveau de production « normal ». Si l’agriculture peut postuler à en faire partie, on n’a pas de statistiques qui puissent le confirmer. Si la production en elle-même peut ne pas avoir subi de pertes, quoi qu’il faut se rappeler que la sécheresse a sévi jusqu’à la mi-mars pratiquement, les récoltes, ou même les plantations de certaines cultures ont pu souffrir de la non disponibilité de la main d’œuvre en raison du confinement. Il en est de même pour l’élevage ou la pêche.
Si on pensait que les activités en aval de l’agriculture et de la pêche n’allaient pas souffrir du confinement, cela ne semble pas vraiment être le cas. C’est ainsi que la boulangerie par exemple montreraient une baisse très importante de la consommation de pain depuis le début du confinement et jusqu’à cette période de ramadhan. D’importants secteurs n’ont plus de demandes (cantines, restaurants et autres…), mais il semble aussi que les consommateurs auraient fortement rationnalisé leur comportement. Certains ménages ont opté pour la fabrication de leur propre pain. Le président de la fédération des boulangers (FNB) a ainsi déclaré « la production et la consommation du pain jusqu’à mi-ramadhan ont largement baissé par rapport aux années précédentes», précisant qu’une enquête sur le terrain a démontré que le volume de production du pain durant les 15 premiers jours de ramadhan avait diminué à 7 millions de baguettes par jour contre 23 millions produites durant les années passées ». 50% des boulangers auraient fermé leurs locaux durant le mois de ramadhan. en raison des pertes enregistrées, suite aux quantités de pain invendues en raison de la pandémie du covid-19[1]. On observe la même chose du côté de l’association des producteurs de boisson qui signale des diminutions importantes de production et l’augmentation des stocks. Enfin des contrôles sont actuellement réalisés dans les laiteries et les minoteries en liaison avec le détournement de lait et de céréales subventionnés. Ceci a conduit à la fermeture d’une proportion non négligeable d’entre elles. Ces perturbations ne sont sans doute pas allées sans induire des difficultés dans la production.
Les autres secteurs sont eux aussi fortement contraints soit du côté de l’offre à cause du confinement, du fait des difficultés de la main d’œuvre à rejoindre les postes de travail, ou de la difficulté des approvisionnements. Ou bien du fait de la baisse de la demande. Seuls quelques secteurs échappent à ces deux contraintes (industrie du médicament, commerce de produits alimentaires, les transports de marchandises, communications).
La crainte principale de cette situation est qu’elle se traduise par des fermetures d’entreprises. Mais même si elles ne ferment pas, les licenciements seraient déjà très fortement dommageables parce-que les entreprises auront du mal à reconstituer leurs effectifs d’une part et d’autre part auront vu leur trésorerie mise à épreuve et ne redémarreront que lentement.
Aux licenciements ou mise au chômage technique dans le bâtiment, viennent se rajouter ceux des secteurs en amont des hydrocarbures, celui du secteur montage (téléphonie, électroménager, automobile et d’autres. S’ajoutant ainsi aux à la fermeture de certaines activités dès le début du confinement (micro-entreprises, artisans, informel…). en l’absence de salaires versés, la demande des ménages s’en ressentira bien entendu au moment de la reprise.
La loi des finances complémentaires n’a rien apporté de nouveau du côté des aides aux entreprises. Sur le plan fiscal et parafiscal, même le report des échéances n’a pas été prolongé. Il n’y a pas eu non plus de mise en place de dispositif de garantie de crédit pour les entreprises qui ne sont pas déjà endettées. Mais même les entreprises endettées qui théoriquement peuvent bénéficier des mesures prises par la banque d’Algérie ont semble-t-il des difficultés à rééchelonner leurs dettes ou avoir de nouveaux crédits. Dans un tel contexte, il faut s’attendre à une reprise très lente après le dé-confinement, qui risque de se prolonger dans le temps.
Notes:
- ^ Le nombre de boulangeries aurait fortement baissé ces dernières années. Il serait passé de 21.000 en 2015, à 14.000 boulangeries en 2017 puis à 7200 boulangeries en 2019 dont 630 boulangeries à Alger