Les données sur l’emploi dont nous disposons remontent à mai 2019, résultat d’une enquête de l’office national des statistiques auprès des ménages. Elles apportent un éclairage sur le marché du travail durant l’année 2019, et peuvent servir aussi de référence pour voir comment la situation peut évoluer en cette période de crise.

Au mois de mai 2019,   la population active algérienne était évaluée à 12,730 millions de personnes, avec  11,281 millions d’occupés et 1,449 millions de chômeurs.  Le taux de chômage était ainsi de 11,4%.

La population active est définie comme l’ensemble de la population occupée et de celle qui est au chômage. La première est définie comme celle qui a travaillé pendant une certaine durée à la période de référence, généralement la semaine précédant l’enquête. Pour les chômeurs, l’ONS utilise la aussi définition du BIT (Bureau International du Travail). Celle-ci dit en particulier, que le chômeur mène une recherche pour trouver du travail. Or dans beaucoup de situations, des personnes ne font pas cette recherche même si elles sont disponibles pour travailler, en particulier lorsqu’elles pensent que les chances de trouver un emploi sont réduites ou nulles. La notion de halo du chômage rend compte de cette situation qu’on peut assimiler au chômage. Le halo du chômage est défini comme les personnes qui sont disponibles pour travailler mais n’ont pas effectué de démarches pour ce faire durant la période de référence.  A la période de rPremier élément, il faut savoir qu’une importante partie parmi les occupés n’est pas couverte par la sécurité sociale. Certes ce taux a augmenté régulièrement ces dernières années, mais il reste encore un nombre considérable de personnes non couvertes. éférence de l’enquête, 1,583 millions de personnes étaient dans cette situation.  L’intégration de cette population avec les chômeurs donnerait une population active de 14,313 millions et 3,032 millions de chômeurs, soit un taux de chômage de 21.2%. Ceci donne bien entendu une autre appréhension du chômage.

De la même manière, parmi les personnes considérées comme occupées, une partie non négligeable travaille durant très peu de temps et serait  intéressées par travailler plus. Il serait souhaitable de tenir compte de cette caractéristique.

A l’inverse, certaines personnes ayant le statut d’étudiant, de retraités, ou simplement d’occupés au sens du BIT, ne le déclarent pas parce-que ce n’est pas leur occupation principale ou bien qu’ils considèrent qu’ils ne travaillent pas suffisamment pour se déclarer comme occupées.

Il faut donc avoir ces remarques à l’esprit dans l’analyse qui va suivre.

Un taux de déclaration à la sécurité sociale qui augmente, mais qui reste insuffisant

Premier élément, il faut savoir qu’une importante partie parmi les occupés n’est pas couverte par la sécurité sociale. Certes ce taux a augmenté régulièrement ces dernières années, mais il reste encore un nombre considérable de personnes non couvertes. 

L’évolution du taux de déclaration à la sécurité sociale apparait au graphique 1. La proportion d’occupés affiliés à la sécurité sociale, après avoir augmenté régulièrement depuis 2004, a atteint son maximum avec 63% en 2016, et plafonne depuis autour de 60%.  Ce taux a bien entendu un impact considérable sur les équilibres des différentes caisses de sécurité sociale, chacune de manière différenciée en fonction de la population à laquelle elle s’adresse et de la fraction des cotisations qui lui échoit : CNAS, CNR, CASNOS, OPREBATP et CNAC, ainsi qu’un certain nombre de mutuelles de plus ou moins grande importance.

 

A partir de différentes sources, nous pouvons faire les estimations suivantes :

Tableau 1 : Situation en mai 2019 en arrondissant les chiffres :
  Nombre Source
Total Occupés 11300 Enquête emploi ONS Mai 2019
Total assurés (A) 6600 Enquête emploi ONS Mai 2019
Total public (B) 4300 Enquête emploi ONS Mai 2019
Administration (C) 2300 Présentation loi des finances 2020 à l’APN
Autre public 2000 B-C
Privé assuré (D) 2300 A-B-C
Employeurs et indépendants assurés (E) 1200 CASNOS
Total non assurés (F) 4700 Enquête emploi ONS Mai 2019
Agriculture (G) 1100 Enquête emploi ONS Mai 2019
Non assurés hors agricultures 3600  
Occupés dans le formel non assurés (H) 200 0.176*(D-E)
Occupés dans l'informel 3400 F-G-H

Unités : milliers

H a été estimé sur la base d’une hypothèse de 15% de non déclarés à la sécurité sociale parmi les salariés du secteur privé non déclaré à la sécurité sociale. Cette hypothèse est issue des réponses aux enquêtes réalisées par ECOtechnics auprès des entreprises.

Les travailleurs, se déclarant comme tels, du secteur informel non agricole étaient ainsi au nombre de 3,4 millions en mai 2019. C’est principalement dans cette population qu’on retrouve les travailleurs qui travaillent insuffisamment.  En réalité, le secteur informel est plus large. Un nombre important de personnes ne se déclarant pas comme travailleur ont des activité informel. Retraités, étudiants, femmes au foyer, sont nombreux à effectuer des travaux de temps à autre pour gagner un peu d’argent.

Ceci donne donc la pleine mesure de l’activité, de l’occupation, du chômage et de la dimension du secteur informel.

Une répartition sectorielle dominée par les services

La répartition sectorielle de la population occupée, selon l’estimation qu’en donne l’ONS, était la suivante en 2020 :

On remarquera dans cette répartition la part démesurée du secteur des services, relativement à la production matérielle (38% contre 62%). Cette hypertrophie renvoie au poids de l’informel qui se localise en très grande partie dans les services, notamment le commerce, et la très faible modernisation du secteur des services, notamment le secteur commercial là aussi.  Elle renvoie aussi, bien entendu, au poids de l’emploi dans l’administration publique.

 

Sur la durée, depuis 2004, on observera la croissance plus rapide des services relativement aux autres secteurs. Ce phénomène reflète le poids de l’administration et de l’informel. Le ralentissement de la croissance de l’emploi dans l’administration à partir de 2016, donne ensuite une inflexion importante.  La croissance de l’industrie et du BTP est moindre. Mais on constate là aussi l’inflexion de 2016. Enfin l’agriculture voit ses effectifs baisser progressivement, perdant pratiquement 400.000 emplois entre 2004 et 2019.

 

Le secteur public conserve encore un rôle prédominant

L’évolution par secteur juridique, montre que la proportion de travailleurs occupées dans le secteur public n’a pas diminué.  Bien au contraire. Ces dernière années, elle se stabilise à un peu moins de 40%. Ceci est due bien entendu à la croissance  des effectifs de l’administration qui  a été continue tout au long de la période, mais aussi au fait que de nombreuses entreprises publiques ont continué à recruter sans tenir compte de leur situation financière.

 

Dans le secteur privé, qui emploie donc environ 60% de la population occupée, on a vu une baisse importante des aides familiaux, qui sont passés de 640.000 en 2004 à 180.000 en 2019. La population restante se divise pour moitié entre employeurs et indépendants et salariés.  Ceci suggère que les entreprises privées sont dans leur très grande majorité composées de TPE ou d’entreprises sans salariés (indépendants).

 

Ces caractéristiques informent sur les fragilités du système économique algérien.  Une grande partie de l’emploi stable est constituée par l’emploi dans le secteur public, avec 2,3 millions de fonctionnaires et 2 millions de travailleurs dans le secteur public.  L’emploi dans le secteur public se localise très majoritairement chez les TPE, ou les indépendant, dont une bonne proportion d’informels.  En dehors de quelques-unes d’entre elles, les entreprises publiques sont fragiles financièrement, malgré de nombreuses opérations de sauvetage.  La crise actuelle menace donc une bonne partie d’entre elles, et la sortie de la crise appellera sans doute une restructuration de fond en comble du secteur public.  Le secteur privé est tout aussi fragile mais de manière différente.  L’exclusion financière a obligé les entreprises privées à croitre sous contrainte de leurs capacités d’autofinancement. Cela a fortement limité fortement leur dynamisme.  On peut d’ailleurs faire le parallèle entre cette exclusion financière et les facilités octroyées à un secteur public peu performant. L’autre composante du secteur privé est le secteur informel, auto-entreprenariat des plus pauvres, ou bien niches laissées vacantes par une bureaucratie qui agit comme repoussoir. Cette fragilité du secteur privé vaut particulièrement dans la crise actuelle, où un confinement durable risque de laisser sur le carreau une proportion importante de ces entreprises, particulièrement celles qui ont des charges salariales élevées.